mercredi, avril 19, 2006

Quand allez vous vous mettre a l'italien les enfants!


Qui sait pourquoi, mais je semble franchement etre dans ma phase traductrice. Est-ce la fin de these qui me pousse a ne pas m'affirmer comme un seul scientifique? Est-ce Elena qui multiplie les imports interessants?
Toujours est-il que ma petite femme (et oui!) m'a conseille un livre dans lequel je suis entre a reculons (j'avais decide que je ne l'aimerais pas), mais qui semble tres bien, notamment parce qu'il regorge de portraits pittoresques tres marrants. Il s'agit du livre de Niccolo Ammaniti Ti prendo e ti porto via, traduit chez nous sous le titre Et je t'emmene.
Et voila un portrait qui m'a d'autant plus fait marrer qu'il me rappelle du monde. C'est un peu long, mais tres bon.
Un des heros, Graziano, retourne chez sa mere Gina Biglia pour lui annoncer son mariage. Elle commence par s'evanouir, puis part sur le champ nettoyer la maison (qui est porca) pour recevoir dignement sa femme.

A dire vrai, une salle d'operation du Politecnico aurait ete moins propre que la cuisine de madame Gina. Meme a l'aide d'un microscope electronique il aurait ete impossible de trouver une salete ou un grain de poussiere.On pouvait manger sur le carrelage de la maison Biglia et boire dans les waters tranquillement. Chaque meuble avait son napperon, chaque type de pate la boite appropriee, et chaque recoin de la maison etait controle quotidiennement et passe a l'aspirateur. Quand Graziano etait enfant, il ne pouvait pas s'assoir sur le divan parce que cela l'abimait, mais il devait regarder la tele assis sur une chaise.
La premiere obsession de madame Biglia etait l'hygiene. La seconde, la religion. La troisieme et la plus importante de toute, la cuisine.
Elle preparait des quantites industrielles de plats delicieux. Sformati di maccheroni. Ragouts mijotes pendant trois jours. Gibiers. Gratin d'aubergine au parmesan. Sartu de riz hauts comme des pandori. Pizzas farcies aux broccolis, fromages et mortadelles. Tartes en cornet fourrees a la bechamel. Poisson aux artichauds. Calamars in umido. Et soupe de poisson a la livournaise. Comme elle vit seule (son mari est mort il y a de cela cinq ans), tous ces plats benis de Dieu finissent dans les congelateurs (au nombre de trois), ou offerts a ses clients.
A Noel, a Paques, au premier de l'an et a chaque fete qui meritait un plat particulier, elle perdait completement la tete et restait enfermee dans sa cuisine treize heures par jour a presenter ses assiettes, a huiler ses plats, et equeutter ses haricots. Le visage violasse, les regard fou, avec une coiffe pour ne eviter que les cheveux ne se graissent, elle sifflait, chantait en ecoutant la radio et battait ses oeux comme une possedee. Pendant le repas, elle ne s'asseyait jamais, elle galopait comme un tapir dans un sens puis dans l'autre entre la salle et la cuisine, en suant, haletant, et en lavant des plats. Tout le monde devenait nerveux puisqu'il n'est pas plaisant de manger avec une possedee qui controle la moindre de tes expressions pour savoir si les lasagnes etaient bonnes, qui ne te laisse pas finir mais deja te remplit a nouveau l'assiette et qui pourrait s'evanouir a tout instant.
Non, ce n'est pas plaisant.
Et il etait difficile de savoir pourquoi elle se comportait ainsi, quelle etait cette fureur cuisiniere qui la tourmentait. Les inivites, pas moins d'une douzaine a chaque fois, se demandaient a voix basse ce qu'elle cherchait a faire, a quoi elle voulait arriver. Elle voulait les tuer? Elle voulait cuisiner pour la monde entier?
Non, rien de cela ne l'interessait.
Du Tiers Monde, des enfants de Biafra, des pauvres de la paroisse, madame Biglia n'en avait vraiment rien a faire. Elle s'occupait sans la moindre compassion de ses parents, amis et connaissances. Elle voulait seulement que quelqu'un lui dise: "Ma chere Gina, les gnocchi a la sorrentinaise que tu fais, ils ne savent meme pas les faire a Sorrento".
Elle s'attendrissait alors comme une enfant, balbutiait des remerciements, abassait la tete comme un grand chef d'orchestre apres un concert magistral et sortait du congelateur un tuperware plein de gnocchi en disant: ""Tiens, mais j'insiste: ne les met pas dans l'eau froide sinon ils deviennent mauvais. Sors les du frigo quelques heures avant".
Cette femme t'engraissait sans pitie et, si tu l'implorais d'arreter, elle te repondait de ne pas essayer de la flatter. Tu sortais de la maison en vascillant, a moitie ivre, avec le bouton du pantalon defait et avec la volonte d'aller faire une cure de desintoxication a Chianciano.
Quand il retournait a la maison, Graziano prenait au minimum cinq kilos dans la semaine. La mamma lui preparait des rognoni trifoli (son plat prefere!) et, comme c'etait une bonne fourchette, elle s'asseyait et le regardait manger en extase, mais quand au bout d'un moment il n'en pouvait plus, elle devait lui demander, elle serait morte plutot que de ne pas lui demander: "Graziano, dis moi la verite, comment sont ces rognoni?"
"Excellents maman."
"Tu connais quelqu'un qui en fait de meilleurs que moi?"
"Non maman, ce sont les meilleurs du monde".
Heureuse et comblee, elle retournait a la cuisine et se mettait a laver les plats, parce qu'elle s'est toujours mefiee de la machine a laver.

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