mardi, juillet 27, 2010

Mon animal totem


Vous connaissez mon naturel enjoué et guilleret. Je peux cependant vous dévoiler une technique infaillible faisant chuter instantanément mon humeur. Petite étude de cas.
Par une belle journée de printemps, profitant des premiers beaux jours, je me rends au parc avec mon fils. Je rayonne la joie et l'optimisme. Soudain, c'est le drame: dans un instant de naïveté, je m'oublie et détourne le regard vers la vitrine d'un agent immobilier. J'y lis quelques chiffres. Mon visage s'assombrit. Mes mâchoires se serrent. L'après-midi est foutue.
Ou encore: une soirée super-sympa avec de bons potes. On a bien bouffé, un repas sévèrement arrosé et on attaque le digestif en refaisant le monde. Bêtement, l'alcool aidant, on oublie le règlement tacite: ne jamais parler d'immobilier. L'ambiance retombe. Les regards se font sérieux et se perdent dans le lointain. La soirée est finie.

Dieu sait que je suis prompt à m'enflammer sur tous les sujets qui choquent ma conscience sociale. Mais les prix de l'immobilier présentent une grande originalité. C'est en général en pensant aux autres que je me scandalise, en me mettant ceux qui n'ont pas la chance d'avoir une situation aussi confortable que la mienne, et qui se retrouvent exposés à divers aléas que je trouve injustes.
Pour ce qui concerne l'immobilier, j'expérimente une frustration bien plus personnelle. Certes, la quasi totalité de la population en souffre aussi, et souvent beaucoup plus intensément que moi. Mais je dois avouer que ces considérations ne me parviennent qu'en seconde analyse. Ce que je ressens comme une évidence, dans une fulgurante immédiateté, peut être assez justement résumé comme suit: je l'ai dans le cul, chaque année plus profond, et je ne peux rien faire.

Le constat est banal: l'immobilier est hors de prix à Paris. Seulement, je trouve qu'on a trop tendance à considérer la chose comme une espèce d'immuable loi naturelle. On a tôt fait de trouver mille explications conjoncturelles (l'investissement dans la pierre en période de crise notamment), ou démographique (on est plus et donc c'est plus dur de trouver un appart' dans Paris). Plutôt que d'essayer de réfuter ces explications dans le détail (pour le plaisir: l'immobilier monte en temps de boom comme en temps de crise depuis 10 ans; la population a dû augmenter de 8% en 10 ans, tandis que les loyers grimpaient de 100%), j'ai deux grands arguments:
  • On voit de tout dans les capitales. Berlin coûte 3 fois moins cher, Londres 3 fois plus cher (à la louche. ca dépend des quartiers, mais l'ordre de grandeur est celui-là). Va chercher une loi naturelle dans ces conditions!
  • Surtout, je ré-attire votre attention sur l'édifiante courbe de Friggit que j'avais déjà incluse dans ce blog. Elle y montre que le prix de l'immobilier est resté constant par rapport aux revenus des ménages entre 1960 et 2000, et ce que ce soit à Paris, dans l'Ile de France ou en Province. Seule exception: une bulle à Paris, débutée en 1985, et dégonflée depuis la guerre du Golfe.
Cela me semble déjà mériter une parenthèse: en 1985 aussi, on trouvait d'excellentes raisons pour expliquer l'augmentation délirante constatée. Et puis, un événement qui n'a absolument rien à voir a affolé tout le monde, et les prix ont chuté. Ca vous évoque plutôt des tendances de fond ou une fièvre speculative, ce genre de comportement?
Quoiqu'il en soit, après une très longue période de stabilité qui semble démontrer l'existence d'un équilibre économique (on utilise raisonnablement x% de son revenu pour se loger), depuis 2000, c'est l'explosion. A Paris bien sûr (x1.9). Mais aussi en Ile de France (x1.8), et en Province (x1.7).

Alors, ami lecteur, quel plus beau dindon de la farce peut on imaginer qu'un ingénieur achevant sa formation en 2001? Et oui mon coco, si tu étais arrivé 10 ans plus tôt, tu aurais pu te payer sans trop de problème un joli 4 pièces à Paris. mais tu es né trop tard, et tu peux tout au plus rêver d'un deux pièces un peu branlant, avec un emprunt à 25 ou 30 ans!
Soyons sérieux deux secondes. Si un mec qui a le pot de sortir avec un diplôme très apprécié, et dont le salaire se trouve dans les plus haut percentiles du pays (ça veut dire qu'il est dans le top 5% ou quelque chose comme ça des revenus), avec en plus un arrière-fond familial respectable pour rassurer le banquier, ne peut envisager qu'un trois pièces riquiqui à 3-4 stations de RER de Paris, c'est qu'il y a maldonne.
Qui peut s'offrir un appart' raisonnable à Paris sur la base de son seul travail? Quelques avocats d'affaires, quelques toubibs, quelques financiers, point barre. Et encore, quelle absurdité que de constater que ces quelques métiers, les mieux récompensés par la société (pour des apports très divers, je suis d'accord avec vous) peuvent au max s'offrir un quatre pièce à Paris. Bravo mon gars, vous étiez 10000 au départ, tu es arrivé le premier, tu as bien mérité 65 m²! Ca c'est de la méritocratie!
Autrement dit: sauf rare exception, personne ne peut se payer d'appart' à Paname, parmi les centaines de milliers de ceux qui pourtant existent et ont donc un propriétaire. Comment cela se fait-ce? Et bien c'est tout simplement que personne ne peut se le payer avec son travail, mais ils sont plein à se les payer avec leur patrimoine. Leur capital.
Evidemment, si pépé te lègue 5 appart', tu n'auras aucun mal à en acheter quelques autres pendant ta vie! Récupérer 5000 euros tous les mois à rien foutre, ça permet d'envisager l'avenir avec sérénité.
De constater quotidiennement cet indéfendable écart entre une minorité de possédants, évidemment majoritairement âgés, et une majorité de couillons (dont je suis, avec 99% des jeunes du pays) qui peuvent se débattre tant qu'ils veulent mais n'ont de toute façon aucune chance d'accrocher le rêve un peu fou d'avoir une cinquantaine de mètres carrés à eux, le temps de leur petite vie, ça me mets les nerfs. Je suis impuissant. Je ne peux que regarder les prix monter, monter, monter encore, et espérer qu'une guerre du Golfe ramène les spéculateurs à la raison.

Ce billet se fait long, je vais donc conclure sans quelques digressions que j'avais pourtant en tête. Une précision majeure tout de même: pour les besoins de la façon dont j'ai voulu dérouler mon histoire dans ce post, et pour vous expliquer honnêtement les raisons d'une colère viscérale, peut-être plus viscérale encore que d'habitude, je me suis centré sur mon petit cas personnel.
La première conséquence est que je me suis concentré sur le cas de Paris, cas paroxystique il est vrai. Cela dit, la courbe de Friggit montre bien que le comportement est global: ma génération devra suer bien plus que la précédente pour vivre dans plus petit, où qu'elle soit. Et on pourrait attendre des loyers plus raisonnable à Paris, même s'il est normal qu'ils soient bien plus élevés qu'en Province. Encore une fois, je ne vois pas de loi naturelle interdisant que les prix soient deux fois plus faibles (d'ailleurs ils l'étaient il y a 10 ans).
Mais la précision la plus importante est que mon cas reste celui d'un grand privilégié. Je ne perd évidemment pas de vue que les prix exorbitants de l'immobilier ont des conséquences infiniment plus sévères sur les employés moins bien lotis que moi, contraints de s'exiler à des heures de trajet de leur lieu de travail. Un travailleur sérieux devrait, même dans un monde libéral, pouvoir se loger dans des conditions raisonnables de confort et d'éloignement.

Une dernière interrogation pour la route. Etant donné que virtuellement tout le monde constate le phénomène, et que chacun en souffre au quotidien, comment se fait-il que la question ne devienne jamais politique.
Puisqu'il y a définitivement quelque chose qui ne va pas dans le mécanisme de fixation des prix de l'immobilier, se traduisant par un déséquilibre caricatural au détriment du travail, pourquoi diable n'y a t-il pas de formation politique pour proposer de réguler la chose?
Et pourquoi les citoyens ne les forcent-ils pas à se positionner sur cette question?

samedi, juillet 24, 2010

American pastoral


J'ai constaté avec étonnement que deux de mes connaissances avaient commencé le même livre que moi, sans que nous ne nous soyons concertés et alors même qu'aucune actualité n'a mis le bouquin en question, vieux de 13 ans, sur le devant de la scène. Il se trouve juste que nous avons décidé simultanément de mettre notre été a profit pour découvrir Philip Roth à travers son roman Pastorale américaine.
Ça fait en effet bien longtemps que j'entends parler de Philip Roth, vieux romancier américain, comme d'un auteur contemporain majeur. Frustré de devoir étaler mon ignorance en chacune de ces occasions, je me sentais d'autant plus idiot que j'ai cru comprendre que ses livres, souvent des autobiographies ironiques se jouant dans la grande banlieue de New-York, avaient de grande chance de me plaire. J'ai donc attaqué, comme mes congénères, par une de ses œuvres les plus connues et, en tout état de cause, les plus primées.

Commencée comme une succulente autobiographie centrée sur un écrivain juif vieillissant, le livre se recentre progressivement sur la fascinante figure du Suédois, gloire sportive locale alors que l'auteur était enfant. Multiple champion d'une modestie et d'une gentillesse confondante, patron humain et impliqué de l'usine familiale, mari comblé d'une Miss New Jersey somptueuse et papa d'une petite fille vive et curieuse, le Suédois voit sa vie modèle changer du tout ou tout à la faveur d'une péripétie dramatique que je me garderai bien de détailler (pudeur que n'a pas la quatrième de couverture, ce qui est bien dommage). Dès lors, l'auteur-narrateur disparait complétement du livre pour faire corps avec le Suédois, homme de bonne volonté taraudé par les doutes et accablé par les coups du sort.

Je ne regrette pas le moins du monde de m'être enfin décidé à faire connaissance avec Philip (dont deux autres des livres ont rejoint ma pile des lectures futures). Le moins que l'on puisse dire, c'est que le bonhomme a une sacré maitrise, et son récit a une putain d'épaisseur.
Le livre nous raconte quelques journées-clé de la vie du Suédois où tout - personnage, lieu, anecdote - est prétexte à des flashbacks qui nous projettent de la deuxième guerre mondiale (vécue de Newark) à 1997 en passant par 1975, 1968 ou les années 50, tout en s'autorisant quelques excursions dans les années 20.
C'est donc d'abord une passionnante plongée historique qui fait admirablement partager le ressenti de ce siècle pour un Américain. J'y ai en particulier mieux compris l'intense patriotisme et l'inébranlable confiance en l'avenir qui doit habiter les descendants de familles immigrées passées en quelques générations, à la force de la volonté, de l'extrême pauvreté à une belle prospérité.
Et si ces sentiments sont transmis dans toute leur vivacité, c'est par la grâce de personnages passionnants, qui révèlent une complexité d'autant plus étonnante qu'ils sont initialement introduits comme des quasi-caricatures (le sportif parfait et modeste, la championne de beauté fuyant la superficialité, etc).

Je me dois de vous préciser que cette écriture qui saute sur la moindre possibilité de s'engouffrer dans de longues digressions historiques porte un risque: elle peut ennuyer en s'engageant dans des tunnels de dizaines de pages qu'on trouve parfois passionnant, mais parfois sans intérêt.
Cela dit, l'auteur déploie un style vif, agressif et sans concession qui, à mon sens, limite grandement le danger de l'ennui en emportant tout sur son passage. Moi qui vous ai déjà expliqué combien j'aime les pièces de théâtre mettant face à face des personnages qui se jettent les vérités les plus cruelles en toute violence à la figure, j'ai été servi. Quand le Suédois n'est pas en train d'assister à de tels règlements de comptes, il se livre à de longues et impitoyables introspections dont la violence, rendue par des phrases acérées sonnant comme les plus percutants des dialogues, m'a pris aux tripes.
Si je reconnais donc le risque de l'ennui (qui, pour tout dire, a emporté au moins un des deux autres lecteurs simultanés), j'ai été très peu sensible à cet écueil, emporté que j'ai été par le destin de riches personnages dont le moins que l'on puisse dire est que l'auteur ne les ménage pas. Ainsi, et même si je crains d'être passé à côté de certains aspects de la métaphore du destin du Suédois avec celui de l'Amérique (par ailleurs explicité dans certains passages passionnants du livre), je me fais une joie de me plonger prochainement dans d'autres livres de Philip, qu'on me promet un peu moins violents et un peu plus ironiques.

lundi, juillet 05, 2010

jeudi, juillet 01, 2010

Retraites


Puisqu'on me le réclame sur tous les canaux, je m'en vais mettre à profit cette deuxième soirée successive sans foot pour vous parler un petit peu des retraites. En fait, ce post va constituer une rapide et imparfaite paraphrase de l'excellente série de trois articles parus sur le sujet dans arretsurimages.net. J'incite les fidèles abonnés que vous devez être à vous y jeter sans délais, et aux quelques rares de mes lecteurs qui n'ont pas investi les risibles 35 euros annuels nécessaires à s'abonner à réparer cet oubli prestement.
(En plus, maintenant, Didier Porte va effectuer la chronique hebdomadaire qu'il ne peut plus tenir sur France Inter sur arretsurimages.net)

Ces articles commencent par dénoncer une dramatisation exagérée. On nous agite le chiffon d'un incommensurable déficit (2 600 000 000 000 d'euros cumulés en 2050, rien que ça) pour nous vendre les plus drastiques des réformes comme étant inéluctables. En fait, le problème (tout à fait réel) est ramené à de plus justes proportions quand on dit que le poids des retraites devrait passer de 13.4% de la richesse nationale aujourd'hui à 15.3% en 2050 (dans le scénario moyen retenu par le gouvernement). Ça a l'air plus humain, non?
D'où vient donc cet empressement gouvernemental? Et bien du fait que le déficit des recettes s'est creusé très spectaculairement dernièrement (30 milliards). Seulement, c'est un effet purement conjoncturel dû à la crise économique, et non pas une conséquence de l'évolution démographique de fond.
Le déballage de l'artillerie du report de l'âge à la retraite semble donc surtout avoir l'effet bénéfique de permettre au gouvernement de se donner un peu d'air à court terme, ne serait-ce que pour rassurer les pauvres petits marchés qui sont assez tatillons par les temps qui courent. Et ce d'autant plus que le recul de l'âge de la retraite amène tout une série d'effets de trésorerie bénéfiques à court terme...

Passée cette première analyse, on peut se tourner vers l'argument de fond, qui nous est assené encore et encore avec d'autant plus de bonheur qu'il a l'air d'une indéniable logique: puisqu'on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps.
Là encore, le constat doit être ramené à de plus justes proportions. Si l'espérance de vie augmente de façon spectaculaire, c'est essentiellement (et heureusement) parce que les morts prématurées (dont infantiles) sont évitées de plus en plus souvent. L'espérance de vie à 60 ans progresse elle aussi, mais plus modestement: d'un peu moins de 5 années depuis 1980 (contre les 10 ans annoncés par le gouvernement).
Cela doit être évidemment nuancé par le fait que ce gain est réparti très inégalement dans la population (rare contre-argument audible). Et il est même établi qu'un retard de l'âge à la retraite fera reculer l'espérance de vie!
Mais il est aussi un autre indicateur qui a retenu mon attention. Savez-vous que l'espérance de vie "en bonne santé" (c'est-à-dire sans limitation d'activité) est de 64 ans pour les femmes et de 63 ans pour les hommes? On voit à quel point les quelques années dont il est question sont cruciales: on ne parle pas de réduire la durée moyenne de la retraite de 10%, mais de diviser par deux la durée de la retraite en bonne santé!

Grâce à ASI, le problème est donc ramené à de justes proportions, à la fois économiques et démographiques. Cela dit, il n'en reste pas moins qu'il manque des sous!
Dans la dernière partie de leur enquête, les journalistes passent au crible les trois voies de financement proposées par les partis politiques. Une évaluation à la lueur des très brumeuses projections à 40 ans du fameux rapport du COR.
La solution du gouvernement, outre qu'elle peut paraitre injuste (non?), ne permet d'améliorer le solde que de 17 milliards en 2030, alors qu'il en manque 45 dès 2020. La méthode des socialistes consiste à piocher des sous de ci de là pour rassembler la somme en question, mais elle est très vague par endroit. Un mystérieux plan senior doit notamment ramener 6 milliards d'euro en réduisant fortement le chômage des vieux.
Reste le traitement de l'extrême gauche: prendre de l'argent ailleurs, en taxant ou réduisant les dividendes.

Est-il la peine que je vous dise quelle est ma préférence?
(Pour les lecteurs me connaissant mal: ET BIEN ON POURRAIT POUR UNE FOIS PRENDRE L'ARGENT OU IL SE TROUVE! Et taxer pour changer le capital, nom de Dieu! Vue la conjoncture, il n'y a pas eu récemment de moment où de telles mesures seraient reçues plus favorablement, d'ailleurs.
Et puis, ce serait rigolo qu'on sorte de la logique "faut surtout pas faire de mal aux marchés parce que sinon les investisseurs ils vont déserter et on va tous mourir". Juste pour voir, une fois, comme ça...)