dimanche, juin 29, 2008

Ode au drapeau

"Le problème en France...". "Le retard français...". "C'est typiquement français...". "Vous savez en France..."
Avec la parcimonie et la légèreté qu'on connait aux médias, politiques et experts, on entend encore et encore cette litanie à tout bout de champ. Il est visiblement de bon ton de cracher sur ce modèle de société, encore et encore, avec ce petit air de papa-nâvré-mais-un-peu-compatissant devant un gamin attachant, mais terriblement casse-couille.
"-Je suis Français et très attaché à mon pays, mais là voyez vous ma pauv' dame quand même il y a des archaismes nâvrants, gnagnagna gnagnagna, donc le libéralisme c'est super. - Ah bon, ben vu votre jolie cravate vous devez savoir de quoi vous parlez, alors d'accord."

Bon, vous me connaissez, je ne vais pas monter au créneau pour défendre notre fier Drapeau et notre belle Histoire. Remarquez d'ailleurs que les plus fervents pourfendeurs de notre pays attardé, Sarkozy en tête, sont aussi les premiers à chanter la grandeur de notre Histoire, les sacrifices de nos Grands Hommes, et la Place Particulière de Notre Pays dans la Destinée de l'Humanité. Tout ça tout ça.
Mais ne nous y trompons pas: ce n'est pas la France-pays-drapeau-histoire qui est attaquée en rotation lourde dans les médias. C'est à la France-société (un peu) solidaire à laquelle tous ces vibrionnants experts encravatés s'en prennent. Le sous-titre est clair: il est établi qu'il faut abandonner notre système pour aller vers le modèle anglo-saxon (ou, si on veut être poli et avancer masqué, le modèle suédois - en oubliant sa dimension sociale dans un deuxième temps, évidemment).

Cette mode n'est vraiment pas nouvelle, mais je m'effraie de la voir si bien prendre autour de moi. C'est assez vicieux: jouant sur le contresens "défense de la France = nationalisme", ainsi que sur une propension assez naturelle (et saine) à l'autocritique, on a vite fait de se laisser emporter par ces arguments. D'autant que les plis soucieux sur le front des commentateurs paternalistes sont extrêmement convaincants.
Du coup, le gimmick est passé dans le langage commun, à tel point qu'on ne se rend plus bien compte qu'on abonde sans cesse dans le sens des libéraux et qu'on milite à son insu pour l'abrogation de notre société (un peu) partageuse - alors qu'une majorité de Français a l'opinion inverse. Au café, en famille, à la cantine: "Tu sais, c'est typiquement français..."

Ces mesquineries lexicales n'ont l'air de rien, mais elles ont à mon avis une importance cruciale. Un électeur qui a intégré au plus profond de son petit cervelet que "modernité = libéralisme", "archaisme = social = France vieillissante" et "réforme = bien (quelle qu'elle soit)", ne sera pas alarmé quand Sarkozy annoncera ses projets de démantellement à la prochaine présidentielle. Et alors, faute de critère fort, il votera à nouveau pour la candidat qui a la plus belle cravate, la plus "grande dimension internationale" (c'te rigolade), ou qui n'aura pas cet air d'institutrice si énervant.

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