samedi, juin 14, 2008

De fortunae


Il est frappant de voir à quel point nous sommes incapables d'intégrer la notion de hasard, et ses corolaires de chance/malchance, lorsque nous interprétons des événements qui nous paraissent importants. Certes, on s'incline quand il s'agit de petites choses secondaires: il pleut aujourd'hui/ j'ai raté mon métro à deux secondes près/j'ai croisé mon voisin à l'autre bout de la ville, c'est étonnant, mais je veux bien croire que ce soit complètement aléatoire.
Mais alors, quand il s'agit d'événements d'une toute autre dimension, non, ça ne peut pas être en partie dû au pot. Par exemple (et c'est un exemple purement hypothétique, qui n'a rien à voir avec ma vie personnelle, bande de petits salopiots - le "je" qui suit n'est qu'une figure rhétorique, qu'on soit bien d'accord là dessus), si j'ai été embauché dans le poste de mes rêves, c'est que je le mérite: c'est purement mécanique. Le hasard n'a rien à voir avec la chose. Ca ne peut pas être (aussi) parce que le poste venait de se libérer et qu'il fallait le pourvoir rapidement; parce que les autres candidats étaient particulièrement mauvais; ou parce que les employeurs n'arrivaient pas à choisir et ont donc utilisé un critère complètement secondaire pour trancher. Je ne dis pas que mon profil n'a rien à voir avec mon embauche - il a même certainement joué un rôle prépondérant - je dis juste qu'il n'est pas le seul facteur à jouer. J'aurais fort bien pu me présenter avec le même profil, et me retrouver à pointer à l'ANPE si j'avais eu le malheur d'être mis en compétition avec un futur prix Nobel, par exemple.
Vous voyez bien que cet exemple n'a rien à voir avec ma vie personnelle. Vous savez tous fort bien que je suis infiniment supérieur à un prix Nobel. Mais puisque je vois que vous avez l'air d'y tenir, je vous donne une illustration portant sur ma vie personnelle: sans que ni Elena ni moi n'y soyons pour quoi que ce soit, Gael aurait fort bien pu être un bébé hideux et méchant, qui serait devenu un financier antipathique de droite à l'haleine chargée. Or, c'est un nourrisson adorable qui sera un artiste reconnu dont la respiration sentira la cannelle.

Il est d'ailleurs bien naturel de sous-évaluer la part que le hasard joue dans nos vies: il serait probablement vertigineux de réaliser qu'on est passé à deux doigts d'épouser un horrible bonhomme, ou qu'il s'en est fallu d'un rien pour qu'on ne devienne une star du rock.
Pourquoi ces profondes considérations philosophiques? Et bien, cher lecteur, non pas pour une mais pour deux raisons. Et oui.

Raison numéro 1, parce que la magnification absolue de ce penchant naturel par les théoriciens d'un libéralisme débridé m'énerve au plus haut point. Pour eux, les top-managers atteignent des sommets de responsabilité (et de rémunération) en vertu de leurs seules qualités. Rien à voir avec des considérations extérieures favorables, telle qu'une naissance dans un milieu doré ou les relations de papa. Dans le même ordre d'idée, un type qui prévoit avec justesse la montée ou la chute d'une action est forcément un visionnaire super malin qui mérite bien de gagner autant que 10000 secrétaires.
Et à l'autre bout de l'échelle, les loosers, à commencer par les chomeurs, doivent plus ou moins s'en prendre à eux mêmes. Je dis pas que c'est facile, mais si ils se secouaient un peu, ils s'en sortiraient forcément. Puisque tu n'as que ce que tu mérites.

Mais c'est surtout la raison numéro 2 qui motive ce post. Venons-en donc à l'essentiel.
S'il est bien un milieu où tout est parfaitement mécanique, logique et prédictible, c'est bien entendu le foot. A en croire les multiples 'nalyses a priori ou a posteriori qui fleurissent dans les médias du moins. Si tu as, disons, perdu 4-1, et ben c'est nécessairement que tu le méritais complétement, absolument, exactement. C'était écris dans la façon dont tu as joué, forcément puisque d'ailleurs tu as perdu 4-1. Pile. Juste comme je pensais.
Alors ces choeurs unanimes qui produisent des centaines de lignes d'analyse argumentée pour t'expliquer a posteriori que tu mérites nécessairement ce qui t'arrive me gonflent. D'abord parce que si il n'y a absolument rien à dire qui dépasse le score final, la mesure de toute chose, et bien on économiserait pas mal de papier en s'épargnant ces stériles analyses.
Et ensuite parce que c'est faux. Le hasard joue un rôle absolument prépondérant dans ce sport. Puisque nous avons en tête le 4-1 d'hier soir, je ne dis pas ici que la France ne méritait pas de perdre. Je ne dis pas non plus que même si il m'avait semblé qu'elle avait mérité de gagner, on aurait dû annuler le résultat final et nous attribuer les points. Non: les règles donnent les points au vainqueur (objectif), et en plus dans ce cas d'espèce les Pays-Bas les méritent.
Je dis simplement que le match tel qu'il a été joué aurait facilement tourner tout autrement. Que ce qu'à fait l'équipe de France, comme ce qu'avait fait l'équipe d'Italie en début de semaine d'ailleurs, n'est pas du tout honteux et que les gros pépères qui t'expliquent que tout cela est bien normal, qu'ils avaient toujours dit que cette année c'était pas comme avant, enfoncent des portes ouvertes avec une mauvaise foi qui m'agace prodigieusement tant elle est répandue.
Voila. Moi j'ai envie de faire un gros bisou à Domenech parce que c'était sympa ce que son équipe a proposé hier soir (alors que je lui en aurais bien collé une après le chiantissime match contre la Roumanie), et allez un autre bécot à Donadoni parce que son équipe d'Italie a un jeu ouvert qui n'est pas du tout payé. Ces deux belles équipes vont probablement être éliminées, c'est tout à fait normal, mais je trouve dommage qu'elles doivent sortir sous les crachats et les regards méprisants tant, fondamentalement, ce qui a changé depuis la finale en 2006 est seulement la façon dont les dés sont tombés.
Et paf. C'était ma 'nalyse à moi.

PS: Pour une 'nalyse juste, il faut évidemment aller .

2 commentaires:

Anonyme a dit…

(Voici un commentaire personnel ! Alors avis aux millier de lecteurs, passez votre chemin !)
C'est marrant, moi j'ai pas vu le match et j'ai énérvé papa au téléphone en lui faisant un 'nalyse à base de "vu les scores et 'nalyses des gens autour de moi, c'est pas étonnant qu'ils se soient pris la branlée anonncée !"
Comme quoi, ils sont fort ses médias, même le foot ils arrivent à orienter les opinions et à rendre analystes de parfaits abrutis totalement inconnus au sujet (moi-même dans cet exemple...) Alors imaginez ce dont ils sont capables vis à vis d'un référendum ! (parceque mine de rien c'est un poil plus compliqué à expliquer qu'un match de foot...)

ZeVinci a dit…

T'es un des rares Européens qui soit plus fort en traité constitutionnel qu'en foot, c'est vrai que c'est pas mal!