jeudi, juin 12, 2008

La quatrième dimension

Les journalistes sont friands de date-limite, de compte à rebours. La tension monte, et l'audience avec elle. Ils se régalent quand un match-clé se rapproche, quand un palmarès va être annoncé, ou quand une personnalité va annoncer sa candidature pour tel ou tel poste. Mais l'apothéose, l'événement prévisible et attendu par excellence, ce sont les élections. On l'a vu dernièrement avec la longue litanie des différentes primaires américaines.
Le compte-à-rebours du jour, c'est le référendum en Irlande. Vous n'avez pas pu y échapper. La problématique est simple: les Irlandais, seul indéfectible peuple à avoir le droit de s'exprimer sur la constit... pardon le traité européen risquent de dire "non".
Quel suspense. L'auditeur en frissonne: quel coup de théâtre ce serait! L'événement est du pain béni pour le journaliste, qui se plait à en éclairer toutes les conséquences possibles: la mécanique bruxelloise serait bloquée; les 25 pays membres, effondrés de devoir repartir une troisième fois à zéro, alors qu'ils avaient remaquillé à la va-vite la Constitution dans le dos des électeurs; et surtout Sarkozy serait tout marri d'hériter d'une présidence européenne sans importance, lui qui rêve de grandes choses pour distraire son électorat de ses échecs domestiques.

Autant les journalistes sont extrêmement diserts sur toutes ces conséquences, qui ont de claires dimensions "people" (il s'agit en fait de savoir si telle ou telle personne, plus ou moins antipathique, sera frappée par ce coup du sort), autant ils sont particulièrement expéditifs sur les raisons qui pourraient pousser les Irlandais à voter "non". Et là, rien de nouveau sous le soleil: il n'y a pas de bonnes raisons de voter "non", c'est absolument certain. France Inter nous présente d'ailleurs une alternative explicite: il s'agirait ou bien d'un vote protestataire, ou bien d'un vote anti-européen. Le noniste est soit accablé par sa dure vie et un petit peu idiot (ce qui peut au moins lui valoir un peu de commisération de la part des médias), soit méchant et renfermé sur lui-même. Point final.
Aujourd'hui comme hier, politiques et médias sont unanimes pour dire que c'est cette Europe ou rien. Voter "non" pour en avoir une autre reste toujours aussi impensable.
C'est quand même dingue: la "non" est quand même très largement plébiscité (et le sera peut-être à nouveau), mais ni politiques ni médias ne sont prêts à lui accorder ne serait-ce qu'une once de doute, et se remettre un tout petit peu en cause. Remarquez, ça devient un peu un prophétie auto-réalisatrice: à cause de la scandaleuse surdité des politiques (pas beaucoup aiguillonnés par les médias) qui s'entêtent à proposer encore en encore le même schéma libéralo-obscur aux peuples qui le refuse, on n'est pas prêt de voir l'émergence d'une Europe des peuples et non du fric.

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