jeudi, février 28, 2008

Annie superstar

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Même en voyant monter sur l'écran l'étrange visage en pointillés de François Mitterrand, on n'y croyait pas encore. Puis on réalisait que toute notre existence d'adulte s'était passée sous des gouvernements qui ne nous concernaient pas, vingt-trois ans qui apparaissaient, à l'exception d'un mois de mai, comme une coulée sans espérance, d'où aucun bonheur n'était venu des choses politiques. On en éprouvait de la rancune comme si quelque chose de notre jeunesse nous avait été volé. Après tout ce temps, au soir d'un dimanche brumeux de mai qui effaçait l'échec de l'autre, on revenait dans l'Histoire avec une cohorte de gens, les jeunes, les femmes, les ouvriers, les profs, les artistes et les homos, les infirmières, les facteurs, et on avait tous envie de la faire à nouveau.
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Tiré de Les Années, d'Annie Ernaux, un livre au premier abord aride mais recommandé si chaudement par le Masque et Télérama que je m'y suis lancé.
J'y reviendrai certainement, mais c'est je pense ce que j'ai lu de plus fondamental depuis très longtemps. Ses 250 petites pages traversent la vie de l'auteur, de sa petite enfance pendant la guerre (et en deçà par l'intermédiaire du récit des anciens) à nos jours.
Le formidable de la chose, c'est qu'Ernaux réussi à nous ramener en quelques traits précis et justes à la société des différentes époques traversées, tout en décrivant son intéressante trajectoire personnelle. On a tout à la fois l'impression d'y être, et de prendre avec l'auteur un recul des plus instructifs sur les excès de ces différentes périodes.
Et en plus, le livre reste humble et plaisant à lire. Tellement qu'il faut que je me contienne afin de ne pas dévorer en quelques soirées un bouquin dont chaque page est une merveille ouvrant la voie à des méditations à (au moins) dix niveaux de lecture.
Formidable.

(A peine une page plus loin que le passage que je vous ai cité:
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La peine de mort abolie, l'IVG remboursée, les immigrés clandestins régularisés, l'homosexualité autorisée, les congés rallongés d'une semaine, la semaine raccourcie d'une heure, etc. Mais la tranquillité se troublait. Le gouvernement réclamait de l'argent, nous en empruntait, dévaluait, empêchait les francs de sortir du pays par un contrôle des changes. L'atmosphère tournait à la sévérité, le discours - "rigueur" et "austérité" - à la punition, comme si avoir plus de temps, d'argent et de droits était illégitime, qu'il faille revenir à un ordre naturel dicté par les économistes. Mitterrand ne parlait plus du "peuple de gauche". On ne lui en voulait pas encore.
")

2 commentaires:

Anonyme a dit…

et ben ça c'est du post qui donne envie de lire le bouquin, c'est le moins qu'on puisse dire!
bravo.
j'étais assez sceptique, surtout après avoir lu 'le café de la jeunesse perdue' encensé par le Masque et avoir eu le sentiment d'être trop conne pour comprendre la profondeur du livre, mais là c'est sûr que je vais le lire tout de suite!

Anonyme a dit…

On a mis une option dessus et nous devrions en disposer dès que possible car il est littéralement DEVORE par un lecteur rochelais . . . en attendant de l'être par sa conjointe. Ce lecteur ne tarit pas d'éloge sur la bonne idée que vous avez eue de les en doter et sur la qualité de ce bouquin. En plein dans le mille !!!!!
Bravissimi !!!!!