vendredi, décembre 26, 2008

Dumb or dumber


Mes passages en Italie me donnent l'occasion de me replonger périodiquement dans tout ce que la télévision peut proposer de meilleur. Mes voyages précédents m'ont permis de découvrir des jeux grand public aux règles sans cesse plus navrantes. Non qu'elles soient spécialement trash ou avilissantes, mais simplement d'une bêtise sans nom.
Mais le maître étalon du domaine est et reste à mon sens une émission qui sévissait (et va re-sévir) également chez nous: A prendre ou à laisser.
Même les très respectables lecteurs de ce blog ont probablement dû jeter un œil à cette émission et croiser à la faveur d'un zapping de début de soirée le visage concerné de ce bon Arthur, penché sur l'épaule d'un candidat qui semblait plongé dans des abîmes de réflexion. Mais, étant donné le rythme lentissime des débats, le respectable spectateur surmonte vite la vague curiosité qui l'assaille, et ne prend souvent pas le temps de fouiller l'écheveau de règles qui sous-tend le jeu avant de passer son chemin.
C'est un tort, respectables lecteurs.
Car c'est profondément instructif.

Voyez-vous, le candidat récupère à son entrée en jeu une boiboite contenant un lot. Oui, une boiboite en bois, cubique. Point n'est besoin de ruiner la production en mise en scène compliquée, six planches font bien l'affaire.
Lui font face vingt-trois blaireaux chacun muni de leur propre boiboite, qui contiennent évidemment elles aussi un lot. Caution culturelle: chacun des 24 participants représente une région de la France. Dans les folles jeunes heures de l'emission, la Bretonne se devait de paraitre en costume traditionnel (le mieux disant culturel, que voulez-vous), mais le rythme des émissions s'emballant, les bigoudennes ont rapidement déserté.
Personne sur le plateau ne sait rien du contenu particulier d'aucune des boites, si ce n'est que l'intégralité des lots proposé est affichée à l'écran. Et comme de bien entendu, elle couvre une très large échelle, allant du meilleur (500000 euros) au pire (10 centimes, ou quelques blagues type "paire de chaussette" pour décrisper le dramatique de la situation. Qui serait insoutenable sinon).

Jamais au cours du jeu personne n'apprendra rien sur le contenu potentiel d'une boîte non ouverte. Et pourtant, vous observerez mi-fascinés mi-atterrés 23 fois le candidat se prendre la tête à deux mains pour savoir s'il doit échanger sa boîte (dont il ne sait, encore une fois, rien) contre celle qui lui fait face (dont il ne sait rien).
Ca, c'est du concept.
Mais je vais un peu vite en besogne, il y a une nuance. Régulièrement, le candidat se voit proposé un rachat de sa boîte pour un montant nettement inférieur à son espérance de gain. L'intérêt est double: d'une part cela multiplie les chances de voir le candidat hésiter de manière dramatique, dans une mise en scène subtile où l'animateur compatissant se fait appeler par un mystérieux huissier, et d'autre part cela permet de limiter les dégâts pour la production car rares sont les candidats bien embarqués pour empocher le pactole qui refuseront quelques dizaine de milliers d'euros. Y a pas de petits profits.
(Si vous voulez vous faire une idée plus précise du jeu, vous pouvez vous y adonner en ligne gratuitement . C'est passionnant)

Et ce jeu fait un malheur.
Voila, je trouve, qui est bien éclairant sur l'état d'esprit de nos contemporains.
Je veux dire, des millions de foyers consacrent une heure de leur temps libre quotidiennement pour voir des inconnus ouvrir des boîtes. La chose pourrait être ficelée en trois secondes en ouvrant directement la putain de boite en question puisque pas une information ne filtrera qui permettra de préférer une boite à une autre, de toute façon. On est bien d'accord, autant lancer un dé à 24 faces dès le début, et on peut passer à autre chose.
Et ben non. Bien que la chose n'ait strictement aucun intérêt, ils sont des millions, concentrés, pénétrés, bercés par Arthur le dramatisateur-sympa en chef à se demander si eux ils échangeraient leur boite ou pas. A en débattre sur le canapé. Et à débriefer après coup. "Tu vois je te l'avais bien dis, je le sentais bien qu'il y avait rien dans cette boîte."
En d'autres termes, ils sont des millions à passer des heures à regarder un jeu sans s'interroger un seul moment sur son intérêt potentiel. Pire, à en imaginer un à base d'instinct et de sixième sens.
Des millions de télespectateurs.
Des millions de citoyens.
Des millions d'électeurs.

Je sais bien, il ne faut pas tout ramener à des activités intellectuelles. On peut bien se marrer, se divertir, sans se prendre la tête, sans être pour cela des pauvres types ou des irresponsables.
Je suis bien d'accord avec vous (hé, j'adore le foot), sur le papier du moins.
Parce que dans ce cas d'espèce, je ne vois vraiment pas quoi sauver. Rien ne devrait donner prise à la discussion: c'est un jet de dé, bordel! Un candidat ne peut pas être ni bon ni mauvais; c'est pas comparable à un match de foot, à questions pour un champion, ou même à la roue de la fortune!
Et en plus de ça, il n'y a pas non plus de spectacle. Interville, Cauet, c'est aussi profondément niais mais au moins il se passe quelque chose, il y a de l'action, une mise en scène. Ou au moins des décolletés pigeonnants.
Et là rien. Le vide. Des millions de personnes aiment se faire avaler par du vide. Regarder des gens qui se posent des questions sur une boite noire dont ils ne savent rien. On leur donne l'image d'une réflexion, d'un suspense minimaliste, sans aucune prise, sans aucun contenu, et eux ils adorent. Je veux dire, on pourrait écrire des bouquins sur ce que ça révèle sur l'âme humaine.

Je m'interroge sur un dernier point. A quel point les producteurs et animateurs sont ils dupe de la situation? Que pensent-ils des candidats? Comment ont-ils qualifié entre eux leur émission dans les multiples réunions qui ont précédé sa mise au point?
J'ai ma conviction sur la question, conviction renforcée par le mépris infantillisant qui rayonne à mon sens d'Arthur et de ses semblables dans ses performances d'animateur.
Quoiqu'il en soit, ils ont vu juste dans leur analyse, vue la liste impressionante de pays dans laquelle est reprise la franchise.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tes posts n'ont laissé personne indifférents ici. N'empêche qu'ils ne sont pas top pour faire chauffer l'ambiance. Courageux le journaliste allemand qui n'est sans doute pas prêt à remettre les pieds en France sur un tapis rouge . . . Allez, change-toi les idées !