jeudi, avril 01, 2010

Deux beau gros livres avec des images

Deux de mes dernières lectures continuent à prouver, s'il en était besoin, que la BD fourmille d'œuvres de très haute volée. Quand des gars qui ont des choses à dire et du talent transpirant les petits doigts habiles, se saisissent de ce médium, il n'a vraiment rien à envier aux arts plus nobles.

Cette entrée en matière en forme d'enfonçage de porte ouverte étant faite, laissez moi vous parler de Blast de Manu Larcenet. Honte à moi, je n'avais jusqu'alors presque rien lu de cet auteur contemporain reconnu comme un des plus grands. Initialement connu pour ses BDs au vitriol commises pour Fluide Glacial (c'est d'ailleurs Chez Francisque que j'avais lu de lui), il dévoile depuis une petite dizaine d'année une face beaucoup plus personnelle.
C'est dans cette veine que s'inscrit Blast. On y suit Polza, étonnant personnage obèse interrogé par les flics. Pour expliquer un crime qu'on imagine affreux, il se raconte: son enfance, son illumination mystique subite, sa fuite dans la nature... 200 pages passionnantes plus loin, le personnage est plus opaque mais aussi plus fascinant que jamais, et on attend la suite en frétillant... Cinq tomes sont annoncés...
J'allais dire que la qualité première de cet album en est le graphisme. Totalement personnel, naïf et mystérieux, noir et blanc texturé jouant sur d'élégants effets (vignette géante, apparition ponctuelle de couleur...), il fait certes beaucoup pour le charme du bouquin.
Mais à la réflexion, ce qui me frappe le plus peut-être est l'absolue maîtrise du récit de Larcenet. Ce livre vous absorbe dès la première image, et parvient sans jouer d'aucune grosse ficelle à nous passionner pour le sort d'un personnage laid, par certains côtés foncièrement antipathique, et qui cherche peut-être à nous mener en bateau...
Tenez, Larcenet a même mitonné une bande annonce pour son album.


L'autre album est tout aussi essentiel qu'il est différent. Je suis un inconditionnel de Joe Sacco, porte-étendard du BD-journaliste. Il a déjà publié trois albums sur la guerre de Yougoslavie et un sur la Palestine, dans lesquels il narre ses enquêtes sur place pour débusquer la vérité des guerres locales. En entremêlant sa recherche journalistique saccadée, avec une humilité le faisant souvent passer pour un pleutre ou un imbécile, avec des témoignages chocs nous ramenant à l'époque de terribles exactions, il arrive à nous faire toucher toute l'humanité des intervenants - et donc toute l'horreur des événements en question.
Il remet le couvert dans Gaza 1956, en cumulant les difficultés. Il s'est rendu en Palestine peu avant les derniers bombardements pour enquêter sur une microscopique note de bas de page de l'histoire: un massacre en périphérie de la guerre de 56 comme il y en eut tant d'autre. Des civils affolés, tabassés, humiliés, et arbitrairement exécutés.
Confronté à une population ne comprenant pas l'intérêt de se replonger dans un événement aussi lointain quand il y a tant à écrire sur leur situation actuelle, à la mémoire fuyante des anciens témoins, ainsi qu'à un cadre historique compliqué, il réussit l'impossible: nous faire vivre la journée d'enfer des gazouïte de l'époque (ainsi que celle des victimes de Khan Younis), l'infernale machine historique y ayant mené, le quotidien étouffant des Palestiniens, et la difficulté à mener un travail objectif sur un événement si vieux et si mal documenté...
Le bonhomme y a mis le prix en lui consacrant sept ans de travail et en pondant près de 450 pages denses. Mais quel choc, quel tour de force, quelle réussite nécessaire!
Une petite avant-première se trouve .

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