vendredi, novembre 27, 2009

Lagarce


Il y a de cela un mois et demi, alors que j'étais absorbé par de hautes tâches (comme réparer l'ordinateur ou regarder un match), Elena a obtenu mon accord pour que nous allions voir une pièce d'un auteur que, malgré la large culture dont vous me savez pourvu, je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam. Il faut dire que j'ai la fâcheuse tendance à accepter les yeux fermés n'importe quel plan foireux pourvu qu'il soit suffisamment loin dans le temps.
Et bien figurez-vous que le temps passant, cet engagement brumeux a peu à peu pris de la substance, si bien que j'ai réalisé dimanche soir que ma soirée du lendemain serait consacrée à assister à l'oeuvre d'un mystérieux sieur Jean-Luc Lagarce.
Croisant les doigts pour qu'il s'agisse d'une comédie de boulevard appelant le rire gras, je me suis renseigné. Le titre semblait, cela dit, en légère contradiction avec cette hypothèse: Juste la fin du monde. La possibilité qu'il s'agisse d'une bluette romantique avait elle aussi du plomb dans l'aile.
J'eus tôt fait de lever le mystère. Effectivement, la soirée s'annonçait bien. La pièce narre tout simplement le retour à la maison d'un jeune homme qui va annoncer à sa famille (qu'il a quitté sans donner d'adresse plusieurs années auparavant) qu'il est sidéen en phase terminale. Situation que devait bien connaitre Lagarce, séropositif emporté par la maladie en 1995.
Youpi.

Vous qui fréquentez régulièrement ce blog, vous devez commencer à connaitre mes effets. Et oui, comme à chaque fois que je mets si longtemps à planter le décor, j'ai été surpris et enthousiasmé par cette pièce.
D'abord, ce n'est pas parce qu'une pièce est triste qu'elle est nécessairement chiante, loin de là. Mais là, il se trouve que j'ai été d'abord surpris par le fait que la maladie du protagoniste principal est plutôt périphérique à l'histoire (même si elle donne toute sa profondeur à ce personnage, et permets quelques parenthèses étourdissantes).
Le vrai sujet, c'est son départ et son retour aussi brusques l'un de l'autre, et comment ils ont été vécu par son frère, sa soeur, sa belle-soeur et sa mère. Ceux-ci sont partagés entre leur amour pour lui, leur compassion pour son malheur, et leur haine devant sa posture d'éternel malheureux qui disparait du jour au lendemain.

Bref, cinq personnages à vif, tiraillés entre amour profond et haine vicérale, se confrontent sous nos yeux pendant deux heures, et s'envoient successivement des vérités à la figure. Un molologue virtuose a à peine achevé de te laisser tout pantelant (pour ne pas dire "sur le cul") que la réplique t'emporte tout aussi violemment. Et ce n'est pas juste une affaire d'éloquence; les arguments dégainés successivement ne cessent de te faire réviser ton jugement sur les personnages.
J'adore ça. C'est même peut-être le genre de situation que je préfère au théâtre.

Encore faut-il que la pièce soit bien défendue. Quand je vous aurai précisé qu'elle est jouée par la Comédie Française, je pense que je vous aurai rassuré. Et de fait, c'est comme d'habitude un plaisir de voir ces maitres-acteurs défendre leurs personnages, sans tape-à-l'oeil mais avec un je ne sais quoi qui te laisse sur le cul (j'ai utilisé mon seul adjectif alternatif, je suis obligé d'être bassement vulgaire). J'ai un respect tout particulier pour l'acteur principal qui a été d'une justesse fabuleuse du début à la fin malgré un rhume carabiné.
Cerise sur la gâteau, la mise en scène est parfaitement sobre. Pas de lourde ambition (genre je te projette l'histoire dans le passé, ou je te sors un décors tarabiscoté) ici, juste de la proximité. J'ai lu par la suite que le metteur en scène voulait importer le gros plan au théâtre: il a donc sacrifié les cinq premiers rangs pour ajouter une avant-scène, ce qui permet des jeux de profondeur - et ravi les veinards qui, comme nous, étaient placés au septième rang!

Alors on dit quoi! On dit merci Elena!

3 commentaires:

Une avisée a dit…

Tu vois qu'il ne faut pas que tu hésites à te fier aux conseils éclairés de ta femme . . .

Unknown a dit…

Ben si t'as aimé tu peux essayer aussi "Derniers remords avant l'oubli". Ou, dans un autre genre, "Les règles du savoir-vivre dans la société moderne".
Et si jamais ca passe pas à Paris, il doit bien y avoir un misérable théâtre de province ou ca passe...

ZeVinci a dit…

Tes conseils valent de l'or mon bon Jeff. On a pris nos places pour "les règles du savoir vivre dans la société moderne" le 10 décembre.
Ah, Paris...