samedi, juillet 24, 2010

American pastoral


J'ai constaté avec étonnement que deux de mes connaissances avaient commencé le même livre que moi, sans que nous ne nous soyons concertés et alors même qu'aucune actualité n'a mis le bouquin en question, vieux de 13 ans, sur le devant de la scène. Il se trouve juste que nous avons décidé simultanément de mettre notre été a profit pour découvrir Philip Roth à travers son roman Pastorale américaine.
Ça fait en effet bien longtemps que j'entends parler de Philip Roth, vieux romancier américain, comme d'un auteur contemporain majeur. Frustré de devoir étaler mon ignorance en chacune de ces occasions, je me sentais d'autant plus idiot que j'ai cru comprendre que ses livres, souvent des autobiographies ironiques se jouant dans la grande banlieue de New-York, avaient de grande chance de me plaire. J'ai donc attaqué, comme mes congénères, par une de ses œuvres les plus connues et, en tout état de cause, les plus primées.

Commencée comme une succulente autobiographie centrée sur un écrivain juif vieillissant, le livre se recentre progressivement sur la fascinante figure du Suédois, gloire sportive locale alors que l'auteur était enfant. Multiple champion d'une modestie et d'une gentillesse confondante, patron humain et impliqué de l'usine familiale, mari comblé d'une Miss New Jersey somptueuse et papa d'une petite fille vive et curieuse, le Suédois voit sa vie modèle changer du tout ou tout à la faveur d'une péripétie dramatique que je me garderai bien de détailler (pudeur que n'a pas la quatrième de couverture, ce qui est bien dommage). Dès lors, l'auteur-narrateur disparait complétement du livre pour faire corps avec le Suédois, homme de bonne volonté taraudé par les doutes et accablé par les coups du sort.

Je ne regrette pas le moins du monde de m'être enfin décidé à faire connaissance avec Philip (dont deux autres des livres ont rejoint ma pile des lectures futures). Le moins que l'on puisse dire, c'est que le bonhomme a une sacré maitrise, et son récit a une putain d'épaisseur.
Le livre nous raconte quelques journées-clé de la vie du Suédois où tout - personnage, lieu, anecdote - est prétexte à des flashbacks qui nous projettent de la deuxième guerre mondiale (vécue de Newark) à 1997 en passant par 1975, 1968 ou les années 50, tout en s'autorisant quelques excursions dans les années 20.
C'est donc d'abord une passionnante plongée historique qui fait admirablement partager le ressenti de ce siècle pour un Américain. J'y ai en particulier mieux compris l'intense patriotisme et l'inébranlable confiance en l'avenir qui doit habiter les descendants de familles immigrées passées en quelques générations, à la force de la volonté, de l'extrême pauvreté à une belle prospérité.
Et si ces sentiments sont transmis dans toute leur vivacité, c'est par la grâce de personnages passionnants, qui révèlent une complexité d'autant plus étonnante qu'ils sont initialement introduits comme des quasi-caricatures (le sportif parfait et modeste, la championne de beauté fuyant la superficialité, etc).

Je me dois de vous préciser que cette écriture qui saute sur la moindre possibilité de s'engouffrer dans de longues digressions historiques porte un risque: elle peut ennuyer en s'engageant dans des tunnels de dizaines de pages qu'on trouve parfois passionnant, mais parfois sans intérêt.
Cela dit, l'auteur déploie un style vif, agressif et sans concession qui, à mon sens, limite grandement le danger de l'ennui en emportant tout sur son passage. Moi qui vous ai déjà expliqué combien j'aime les pièces de théâtre mettant face à face des personnages qui se jettent les vérités les plus cruelles en toute violence à la figure, j'ai été servi. Quand le Suédois n'est pas en train d'assister à de tels règlements de comptes, il se livre à de longues et impitoyables introspections dont la violence, rendue par des phrases acérées sonnant comme les plus percutants des dialogues, m'a pris aux tripes.
Si je reconnais donc le risque de l'ennui (qui, pour tout dire, a emporté au moins un des deux autres lecteurs simultanés), j'ai été très peu sensible à cet écueil, emporté que j'ai été par le destin de riches personnages dont le moins que l'on puisse dire est que l'auteur ne les ménage pas. Ainsi, et même si je crains d'être passé à côté de certains aspects de la métaphore du destin du Suédois avec celui de l'Amérique (par ailleurs explicité dans certains passages passionnants du livre), je me fais une joie de me plonger prochainement dans d'autres livres de Philip, qu'on me promet un peu moins violents et un peu plus ironiques.

1 commentaire:

Une vacancière en sursis a dit…

Ce poème de Prévert a 55 ans . . .
et pourtant reste d'actualité. La guerre d'Indochine est terminée mais les hommes ont trouvé de quoi la remplacer:

"Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens


soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers


Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.