lundi, janvier 12, 2009

Eloge de la subjectivité


Vu le nombre de fois que j'ai fait référence à son site, vous devez connaitre mon affection profonde et mon respect absolu pour Daniel Schneidermann, l'animateur d'arret sur images. C'est donc un honneur mêlé de regret que de voir un sujet de post que je mûrissais depuis quelques jours rédigé sous sa plume ce matin. Evidemment, son billet n'aura pas la puissance de conviction du mien, appuyé par mes capacités rhétoriques hors du commun, mais le bonhomme ayant de la bouteille en tant que chroniqueur, il a quand même réussi à défendre correctement son sujet et il est fort probable que l'Histoire, si fascinée par les premiers, accolera son nom à ce sujet plutôt que le mien. Mais bon... (En parlant de rhétorique, quand je fais une phrase trop longue, je la contre-balance par une autre très courte. Si c'est pas puissant ça.)

Je m'agace que les médias ne semblent connaitre que deux façons de traiter un sujet polémique. Variante 1, l'évidence écrasante. On ne présente qu'un aspect de la chose, à grand renfort d'experts et d'hommes politiques sûrs-de-leur-fait-soyons-sérieux-voyons. Les exemples les plus marquants restent le libéralisme (jusqu'à une période récente, et dont je vous pronostique qu'elle ne durera pas plus que la crise actuelle) et la constitution européenne. A ce propos, je ne me lasserai pas de répéter l'avis démocratiquement exprimé des nonistes (dont je suis) a été plus que bafoué. C'est une telle évidence qu'on n'en parle pas, mais pour moi ça discrédite plus la politique que les frasques et petites phrases des uns ou des autres. Fin de la parenthèse.
Variante 2, beaucoup plus répandue, la justaposition de positions antagonistes. On présente successivement le point de vue numéro 1, puis pendant un temps strictement identique le sujet numéro 2, et on clot les débats immédiatement.
Un partout, la balle au centre.

C'est le niveau "C'est mon choix" du débat. Chaque partie s'agite, débale ses arguments, mais à la fin, on s'embrasse, on se respecte, aucune différence d'opinion n'est grave, aucune décision n'est à prendre, aucune synthèse à faire. Pour ou contre le string à l'école? Ben on s'en fout, on peut être pour, on peut être contre, ce qui compte c'est qu'on respecte la diversité de l'autre, et à la semaine prochaine!
Ce qui se défend pour des sujets sociétaux secondaires est beaucoup plus gênant pour des thèmes plus importants. Et comme c'est ce même mode de "débat" en forme de juxtaposition de prise de position qui est utilisée sur tous les thèmes, on glorifie l'ouverture d'esprit absolue au détriment des opinions tranchées et des principes. Pour prendre un exemple récent, on peut faire intervenir un spécialiste convaincu que l'économie va à sa perte, le mettre face à un expert certain que tout va pour le mieux dans le meilleur des monde financier possible, et on se sépare sans avoir avancé d'un pouième dans cette discussion centrale.

C'est là que je rejoins ce bon Daniel. Cette glorification de l'absence de prise de position touche aussi parfois l'information. Evidemment, il est heureux que nos médias ne soient pas transformés en machine de propagande assenant une vérité officielle sur tous les sujets (ce qui nous raménerait à la variante n°1), mais l'extrême inverse est également gênant.
Pour reprendre l'étude de cas proposée par Daniel, le traitement millimétriquement symétrique de la guerre à Gaza confine au ridicule. Tout le monde (ou à presque - voir ce billet qui pour moi échappe à toute logique, et est définitivement ridiculisé par sa chute) se rend bien compte de l'asymétrie du conflit (si vous voulez mon point de vue sur le sujet, il se recoupe très fortement avec celui-ci). Mais attention, là, pas question de trancher trop clairement, on reste dans l'égalité parfaite de temps de parole (ou devrais-je dire dans l'égalité parfaite du temps de propagande). Surtout que le terrain est glissant, une accusation d'antisémitisme est si vite arrivée...
Cela dit, en l'espèce, j'ai été plutôt agréablement surpris. Même si le point de vue d'Israel est fortement repris (plus que ne le mérite sa cohérence à mon avis), la disymétrie est si forte que l'impartialité journalistique est fissurée. Je n'ai pas beaucoup de doute sur l'opinion profonde de la plupart des journalistes que j'ai entendu parler du sujet.

Je quitte donc le terrain de l'information chère à mon Daniel pour en revenir à cette question des débats sans décision. Ce qui me gêne vraiment, c'est qu'on ancre profondément en beaucoup d'entre nous l'idée qu'avoir des opinions tranchées, c'est mal. Prendre position, ce n'est pas avoir des convictions, des idéaux, ce n'est pas avoir examiné les faits et tranché une bonne fois pour toute en son âme et conscience.
Non. Prendre position, c'est s'enfermer, se ranger à une idéologie, et diaboliser inutilement l'autre côté. C'est être sanguin et bien naïf. S'il y a des gens pour penser le contraire, c'est bien que l'opinion d'en face est défendable. Ce ne sont pas des monstres quand même, non?
Pour bien faire, il faut rester neutre en toute chose, et se décider mollement au cas par cas, prudemment prudemment, sans être vraiment sûr de soi.

Je ne sais pas si ce mal est général dans toutes les couches de la société, mais je peux vous dire que chez les cadres, l'épidémie est à un point très avancé. Si tu n'es pas capable de fonder ton jugement sur Sarkozy sur des arguments qui peuvent chacun être étayés par des articles chiffrés parus dans des journaux d'une neutralité reconnue et des citations dont tu peux réciter le contexte avec précision, tu n'as aucune chance de les convaincre. Si en plus tu t'agites, tu te passionnes, tu t'échauffes, tu apporteras autant de preuve de ta subjectivité, et ton avis sera définitivement discrédité.

Mais bordel, avoir des positions, c'est bien! C'est la preuve qu'on veut quelque chose pour cette vie, plutôt qu'attendre passivement que les événements nous arrivent sur la gueule! C'est le signe d'une morale, d'une vision des choses, qui essaye de se manifester dans la vraie vie.
Et peut-être, de la changer par une impulsion qui dépasse les simples soubresauts de l'économie et des conflits éthniques ancestraux.

Et pour vous remercier de m'avoir suivi jusque là, je vous propose cette vidéo, qui fait autrement plus avancer le schmilblick au niveau philosophique:

10 commentaires:

matray a dit…

Je ne suis pas d'accord ! D'ailleurs un nouvel exemple me vient immédiatement : l'avancée qu'a fait "l'éducation" dans une partie des états unis en enseignant aussi bien les théories de l'evolutions que le creationisme. Car comme on est sûr de rien, il vaut mieux apprendre n'importe quoi. Vivement que l'on enseigne le negationnisme en même temps que la shoah...

Unknown a dit…

Ah, ça faisait longtemps qu'on avait pas eu un post de débat... Tu t'en doutes peut-être : je suis pas hyper d'accord avec ta prise de position engagée, me situant de fait probablement du côté de ceux que Glucksmann appelle les circonspects, et que toi appelles plus vraisemblablement "couilles molles".
Ceci dit, j'ai du mal à voir une cohérence dans ta prise de position. D'un côté tu regrettes la non-prise de position médiatique sur certains sujets, et de l'autre tu contestes la propagande assumée sur le oui aux européennes. Tout comme je suis à peu près persuadé que tu aurais détesté un débat contradictoire sur la constitution aboutissant à la même conclusion.
Bref, j'ai un peu l'impression que ce qui t'emmerdes vraiment, c'est quand les médias prennent une position qui te déplait, ou ne prennent pas une position que tu partages.
Pour ma part, j'attends plutôt des médias des éléments objectifs et clairs pour me faire me faire ma propre opinion. Et pour reprendre ton exemple de la crise à Gaza, je trouve au contraire que le symétrisme millimétrique que tu évoques n'est qu'une façade, et que l'opinion commune journalistique suinte de partout. Et influence la masse sans qu'elle s'en rende compte, ce que me parait tout aussi dangereux qu'une prise de position assumée en faveur des Palestiniens.
Bref.
Ah ! J'aime ces bons vieux débats...

ZeVinci a dit…

Bon, mon Jeff, tu as raison sur mon manque de cohérence. Ne postant plus au bon rythme d'antan, j'ai aggloméré plein d'idées dans ce post, faisant des grands écarts risqués qu'un vétéran des débats tel que toi n'a pas manqué d'exploiter.
En particulier, j'ai voulu parler de l'article de Schneidermann parce que je trouvais l'accroche pour mon post rigolote, mais ça m'a obligé à parler de la sub-objectivité dans l'information, ce qui n'était pas vraiment mon propos.

Mon vrai raisonnement c'est:
* On valorise outrageusement la neutralité au détriment des convictions, dans la vie de tous les jours (au moins chez les cadres/universitaires).
* Bien sûr, être neutre dans le sens objectif, ie dans le sens de justice, c'est bien.
* Mais comme la plupart des sujets sur lesquels ils faut se fixer sont complexes, et que les lobbys divers et variés sont habiles à présenter leurs arguments, tu peux ne jamais trancher sur rien par excès de prudence.
* Et si tu ne décides rien, tu laisses le champ libre à ceux qui savent très bien ce qu'ils veulent et qui ont le pouvoir (économique, politique, etc). Pendant que tu hésites et pondéres, on pourrait te faire passer paquets fiscaux et détricotages divers sans que tu ne t'en rendes compte, par exemple.
* Il faut donc un juste milieu entre absolument tout couper en noir en blanc, et tout laisser dans le grisaillou.
On doit bien être d'accord là dessus. C'est juste qu'on ne mets pas le curseur au même endroit. (J'ai lâché du lest, alors sois sympa, mets ton curseur au même endroit que le mien et on va boire un coup ;) )

Et une des choses qui me frappe, c'est que les médias me semblent favoriser la prudence, l'écho à tous les points de vues sans prise de décision.
Que les deux arguments soient présentés, c'est très bien. Mais à ne jamais tenter de synthèse, par exemple en convocant des chroniqueurs pour autre chose que pour sortir des bons mots, on nous habitue à l'idée suivante: "y a du pour, y du contre, c'est pas simple".
Or, on peut confronter les arguments, essayer de le mettre en perspective, et prendre une décision. Je ne veux absolument pas que la télé la prenne pour nous, mais qu'elle nous montre des gens qui le font. Des fois.

Quelques précisions:
1- Je suis certain qu'il ne s'agit pas d'un choix conscient des télés. Point de conspiration, c'est sûr.
2- Il est certainement très délicat de faire œuvre pédagogique de "prise de décision" et "analyse critique des arguments", puisque ce sont des choses très personnelles.
3- N'empêche, les circonspects, achetez vous des couilles (je relance le débat).
4- Je ne connais rien de l'oeuvre de Glucksman. Simplement, son article m'a sidéré car il n'y a pas un argument rationnel là dedans. Je l'ai relu, et j'ai juste vu "c'est pas parce que tous les faits et l'opinion ont l'air d'accord pour un truc que c'est pas l'inverse qui est vrai".
5- Je suis d'accord avec toi sur la perversité de la fausse objectivité, sur la Constitution Européenne comme sur Israel.
6- Maintenant je vais commencer à bosser.

Anonyme a dit…

juste une remarque : l'objectivité n'existe pas.
un sujet aura toujours un angle, un regard, un positionnement particulier vis à vis d'une chose (le conflit à Gaza par exemple). même un journaliste à qui on demande d'être objectif, il ne peut pas l'être même en se limitant à relater des faits car il choisit quels faits raconter, comment etc.
donc le débat sur l'objectivité est un faux débat.

cassés !

ZeVinci a dit…

Non mais tu vois ça mon bon Jeff, une nana qui se permet de se pointer et de nous dire qu'on mène un faux débat!
Hé, retourne à la cuisine toi! Et avant, ressers un kir à mon pote...

Anonyme a dit…

eh oh!!! j'appelle "une nantaise revoltée", "une militante indignée" bref la mystérieuse femme qui se cache sous ses pseudos à me venir en aide!!!
bande de machos!!!

Unknown a dit…

Pffff alors la blonde elle pourrait ramener des cahuètes aussi avec le kir, parce que c'est bon, hein, les cahuètes. Des "grillées à sec" si possible.
Bon, pour revenir à notre vrai débat d'hommes, hum, oui on pourrait sans doute imaginer une nouvelle forme d'analyse médiatique, qui pèserait un point de vue puis l'autre, et proposerait une synthèse, une réflexion avec une conclusion à la fin. Ça trancherait avec le paysage actuel. Ce serait original, et intéressant probablement.
Mais j'ai un peu de mal à y croire, car, sur les sujets "politiques", l'argumentaire est bien souvent là pour soutenir une opinion déjà toute faite, une conviction, et pas pour bâtir une nouvelle conclusion, basée sur les faits et les circonstances.
C'est pour ça que je préfère croire au spectateur ou au lecteur critique, capable de se faire lui-même sa propre synthèse à partir de points de vue contradictoires. Capable d'esprit critique sur les objectivités factices, comme sur les consensus écrasants. L'école devrait apprendre ça. La télé devrait aider à ça aussi, c'est ce que Schneidermann essayait de faire pendant un moment, mais j'ai l'impression qu'il est passé du côté des "couilles dures", ce qui lui enlevé du crédit à mes yeux. Car il du coup perdu une partie de sa dimension pédagogique.
Bref.
Bon, j'attends toujours les cahuètes...

Anonyme a dit…

tu sais où tu peux te les foutre, tes cacahuètes ?????

ZeVinci a dit…

Quelle vulgarité...
Je suis choqué.

Anonyme a dit…

Ca se passe comment pour le fourrage de cacahuètes ? Faut en parler à qui ?