dimanche, août 15, 2010

Total respect


Comme d'une part je tiens à vous faire savoir quand j'ai apprécié un film/un CD/un bouquin/un spectacle (afin peut-être que vous vous y plongiez vous même), et comme d'autre part je publie peu, je consacre mes posts aux livres, films ou CDs qui m'ont le plus plu. Mes interventions tirent donc très souvent sur l'enthousiasme, avec deux conséquences néfastes.
1- Vous devez croire que je suis un spectateur pas bien difficile, voire un benêt un peu naïf (alors que je vous épargne des billets sur des œuvres plus quelconques, et même sur des expériences très satisfaisantes mais qui me donneraient l'impression de me répéter - tel le dernier Connelly que je viens de lire - The Brass Verdict - et qui est très bien).
2- Vous devez me lasser de mes conseils. Puisque chaque livre que je vous indique est formidable, et chaque film exceptionnel, et bien rater en quelques uns, ce n'est pas bien grave.
C'est surtout ce deuxième point qui me chagrine ici. Car je vais vous parler d'un type pour qui je nourris une admiration qui se confirme et s'approfondit à chaque nouveau contact que j'ai avec lui. Il s'agit, ni plus ni moins, je vous le donne en mille, de David Simon.

Quoi, vous ne voyez pas de qui il s'agit? Vous plaisantez? Lisez donc son patronyme à l'américaine: Dé-vid-saille-mo-n. Pas mieux? Si, monsieur Alexandre H, une idée? Monsieur Tomtom? Monsieur Matray?
Et oui, David Simon est l'auteur de la meilleure série de tous les temps: The Wire. Celle qui, en 5 saisons ramassées, croque avec justesse la vie de Baltimore, entre drogue, magouilles politiques, écoles sous-financées, et journaux en crise. Le tout en déroulant une intrigue complexe mais passionnante.
Mais si je l'ai connu par ce biais, il est intéressant à d'autres titres. Je vais glisser sur son actualité pour l'instant (la réjouissante série Treme, sur la Nouvelle Orléans) pour me concentrer sur son passé de journaliste. Il a en effet commencé par travailler pendant 13 ans au Baltimore Sun, 13 années coupées de deux congés sabbatiques qu'il a mis à profit pour s'immerger, pendant un an, dans deux milieux opposés mais également passionnants. En 1988, il a passé une année dans la division Homicide de la police de Baltimore. Et cinq ans plus tard, il a passé (avec Ed Burns) une année complète à un coin de rue partagé entre dealers et junkys.
Les deux expériences se sont traduites par deux gros bouquins, passionnants et accrocheurs. deux bouquins que je vous conseille, plus encore que d'habitude, avec chaleur.

Commençons donc par Homicide - a year on the killing street. Quel pied pour tout amateur de polar de découvrir la réalité de cette division d'élite d'une poignée de détectives, destinée à traquer les assassins dans une des villes les plus violentes d'Amérique! Du mystère, des personnages fascinants, de la testostérone, et tout cela garanti 100% véridique...
Le moins qu'on puisse dire en effet, c'est que la réalité ne pâlit pas face à la fiction. On y découvre des détectives brillants, habités mais bourrus, qui travaillent avec les moyens du bord, entre crédits faibles et pressions politiques. Ils se protègent quelque peu en développant un style macho hardcore, mais sont impressionnants d'efficacité quand les corps se multiplient.
On est confronté d'entrée de jeu au terrible tableau listant les décès qu'il est crucial de passer du rouge (inexpliqué) ou noir (résolu) - une unité aux statistiques décevantes ne faisant pas long feu. On y apprend que les détectives classent dès les premières secondes un cas en slam dunk (il sera facilement résolu, genre crime familial) ou en cas désespéré (genre inconnu trouvé mort dans une ruelle déserte d'un quartier hostile aux flics). Et que le meurtre d'un tax-payer (un citoyen honnête, ayant un boulot) compte infiniment plus que celui d'un marginal.
Vous pouvez faire confiance au maitre-à-penser du Wire pour vous présenter le détail de tout ce fonctionnement de la plus passionnante (et impitoyable) des manières. Il multiplie les anecdotes, et suit plus précisément une demie-douzaine de détectives attachants tout au long de l'année (du rookie au vétéran, du solitaire original à l'inspecteur typique du sérail).
Ce faisant, on croise mille cas, certains mineurs, d'autres qui courent tout le long du récit. Et le pire, c'est que rien ne dit qu'on finira par connaitre le fin mot de l'histoire pour les plus intrigants d'entre eux...
Un livre à la fois édifiant, passionnant, riche, dense mais prenant...

Le deuxième bouquin - The corner - se focalise sur une population bien différente: les riverains d'un quartier tombé dans la drogue. Simon ne se focalise pas sur les gros bonnets ou sur les caïds du quartier (d'ailleurs, il ne les évoque même pas) mais sur la piétaille: les petits dealeurs de rue et le flot des junkys. Deux populations maudites d'ailleurs très proches: on fait en général confiance aux jeunes (14-18 ans), non encore étouffés par la drogue, pour dealer. Ensuite, ils deviendront 9 fois sur 10 des junkys, condamnés à développer des trésors d'inventivité pour trouver des combines leur permettant de se payer leurs shoots du jour.
Au centre, Simon se concentre sur une famille (décomposée comme il se doit) à la fois typique et hors norme: Fran, la mère junky à la forte personnalité, qui a su transmettre un semblant de valeurs à ses rejetons; Gary le père, ex workaholic ayant atteint une belle prospérité à la force du poignet, mais qui a sombré à pic dans la drogue après sa femme; et DeAndre le fils, qui hésite entre les possibles: l'école qu'il déserte mais pour laquelle il est doué, les boulots légaux qui payent mal, mais pour lesquels il sait faire montre de la même assiduité que son papa, et enfin la voie royale du Corner. Peu d'efforts, de l'argent à foison (comparativement au boulot chez Mac Do, du moins), et une vie romantique... et une mort rématurée. Que choisir?
Fat Curt, petit dealer de l'ancienne école, et Ella, travailleuse sociale admirable, complètent les premiers rôles. La parfaite recette de David Simon fait encore merveille ici: en suivant le quotidien de ces personnages attachants, il nous éclaire sur divers aspects de la vie de ceux qui ont le malheur de naître et vivre dans le quartier. La quasi impossibilité de renoncer à la drogue bon marché, l'impuissance de la police, l'organisation de la vente de drogue (un hâbleur, premier testeur de la marchandise; un coureur qui va chercher la came planquée pas loin; et le chef qui récolte l'argent), la course aux combines (détrousser les maisons à l'abandon de leur métal, vendu ensuite au poids, voler de l'électroménager, vendre de la fausse drogue...) et surtout l'absence d'alternatives pour les habitants du quartier.
Comme résumer? Un livre à la fois édifiant, passionnant, riche, dense mais prenant...

Je vous dois deux précisions tout de même. Premièrement, ces livres sont extrêmement denses et longs (800 et 600 pages). Cela ne vous apparaitra pas comme un défaut une fois les 20 premières pages avalées, croyez moi.
Et deuxièmement, malheureusement, ces deux livres ne sont pas traduits en français. La langue, journalistique, est tout à fait accessible (on est très loin des dialogues du Wire). Mais j'avoue qu'il faut tout de même un bon petit niveau d'anglais pour pouvoir s'y attaquer.
Même si je pense que ces bouquins justifieraient à eux seuls de se relancer dans 4-5 années d'anglais, dans ma grande bonté, je n'en voudrai pas aux non-angliciste de ne pas faire l'effort. Les autres, par contre, vous ne regretterez pas!

Addentum: Une très intéressante interview du bonhomme se trouve . En anglais non sous_titré, elle aussi.

2 commentaires:

Une non anglophone a dit…

Non seulement tes posts se font plus rares mais tu recommandes des lectures en anglais! T'es dur, là.

S. Bell a dit…

C est d un redondant cette publicite pour simon. Bah je blaaaague, c est cool. Meme en anglais, je m y mettrai.
J ai remis un pierre a un debat recent d ailleurs, puisque tu ne recois pas de notif quand un commentaire est publie.. Ce que je trouve hallucinant de ridicule d ailleurs. Combien de commentaires sans reponse de ta part, dans le vent..!