Et c'est là que les lapereaux naïfs que vous êtes se trompent du tout au tout. Notre belle société - la MEILLEURE!!!, on nous le dit, on nous le répète! - édite des millions d'unités du dernier Dan Brown, garde en mémoire l'intégralité de l'inégalable biographie de Guillaume Musso, mais ne marque par contre aucune tendresse pour un auteur de référence certes, mais terriblement désuet. Ah qu'il s'agisse de s'incliner devant l'auteur majeur, brillant, admirable, et la foule noire des admirateurs éplorés s'étend jusqu'à l'infini. Mais personne - PERSONNE!! - ne se présente pour ressortir une édition originale vieille de 35 ans, et maintenant épuisée.
Par le truchement de ventes d'occasions, j'ai pu me procurer le premier des trois pesants volumes de l'œuvre en question. L'objet est si épais, l'écriture si dense et les lignes si larges que j'ai failli m'incliner, me recroqueviller et me laisser emporter dans les tuyaux amnésiques de la société du divertissement.
Mais l'auteur m'a vite prouvé qu'il méritait bien plus qu'un hochement de tête respectueux. En tant que témoin majeur de l'Histoire, j'avais tendance à le considérer comme une autorité lointaine et obscurément ennuyeuse, comme une statue impressionnante mais immobile. Quelques dizaines de pages ont suffi à me convaincre qu'il avait sauté de son piédestal en deux temps trois mouvements, et qu'il m'avait fermement pris par la main pour me faire pénétrer l'horrible réalité qu'il a connu. Certes, il signe un livre érudit prétendant à la quasi-exhaustivité du sujet traité. Mais surtout, écumant de rage, rayonnant de rancœur, il nous fait goûter, d'anecdote en anecdote, de très très près les multiples facettes répugnante du système qu'il dénonce. Inexorablement, chaque étape de son processus révèle strate sur strate de cruauté et d'inhumanité.
Un putain de choc, traumatisant mais aussi et paradoxalement vivifiant.